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PROJETS D'ART

Alors que le monde brûle, Les monstres dansent

Le projet « Alors que le monde brûle – Les monstres dansent » est issu d’une année de réflexion et de préparatifs. En décembre 2021, devant un bar queer parisien, un homme nous menace de mort, nous dit que notre place est en enfer. C’est une expérience pivot, de voir une haine littéralement mortelle et complètement gratuite dans le regard de l’autre. Nous le repoussons et entre nous, notre réaction première est une forme étrange d’ironie grinçante, « l’enfer on y est déjà, et si c’est là qu’on devait aller on y serait plus en sécurité qu’ici ». Ces mots, les siens, les nôtres restent imprimés dans ma mémoire, je les traite pendant des semaines.

Il se forme une étrange résonance entre cet événement et ma vie de tous les jours, l’abattement et le désespoir d’un monde qui n’en finit pas de s’effondrer sur lui même, allié aux vécus spécifiques de membre « minorisé » de la société : queer, racisé, neuro-a…

Chaque projet que je mène me permet de formaliser plus finement ma pratique artistique. Ce qui m’importe c’est de raconter nos histoires, de faire porter nos voix. Je suis terrorisé.e par la quasi absence, l’effacement volontaire des récits minorisés. Ce qui est constitutif de nos parcours c’est l’absence de généalogie, de culture collective, d’Histoire, en libre accès, à portée de main. Il faut chercher, creuser une fois qu’on en a la capacité, c’est à dire quand il est déjà trop tard, que la solitude a déjà infusé en nous.

J’aime jouer avec l’art officiel, le reproduire, le transformer. C’est cette image de La Cène, mille fois reproduite, qui s’inscrit en surimpression avec cette expérience dans les tréfonds de mon cerveau, et je la laisse venir, je fais confiance au processus interne qui se déroule presque sans moi, de petite révélation en micro-épiphanie.

Ensuite pour remplir ces rôles je fais appel à notre royauté, celleux qui font office de prophètes parmi nous, les drags, idoles du paganisme queer. Et je m’inscris dans une démarche de création collective, j’ouvre à chacun.e une place d’acteur.ice de ce projet. En effectuant un travail de recherche approfondie sur chacun des apôtres, leurs attributs, sur chaque détail de cette image, nous commençons à créer un nouveau symbolisme hybride, autour d’un détournement des valeurs, vertus et péchés du christianisme. Quand le nœud est fait entre l’orgueil et la fierté, la polysémie du terme « pride », pire des péchés chrétiens et première vertu queer, les liens se suivent en cascade, poétiques, politiques, plastiques.

A l’été 2022, de violents incendies ravagent le pays, en Bretagne plus spécifiquement les Monts d’Arrée et Brocéliande. C’est obsédant et douloureux de voir son territoire brûler. Cet événement entre, avec une ironie amère, en résonance avec ce projet : l’enfer on y est déjà. Un lien fort se forme entre la nature martyrisée et l’histoire queer. De façon réductrice, les LGBT sont souvent pensé.es comme des rats des villes, des sujets de culture en opposition à un soi-disant état de nature. Nous existons cependant dans le territoire, les personnes minorisées sont d’ailleurs les premières touchées par les crises les plus violentes.

En tant que militant.e, il n’y a d’espoir qu’à travers une convergence des luttes queer, écologiste, féministe, antiraciste. Mais cet espoir, dans un monde qui s’effondre sur lui même, en tant que militant et en tant que queer, ou peut on encore le trouver ? J’ai posé cette question aux participant.es du projet encore et encore. Leurs réponses étaient fascinantes, complexes, extrêmement novatrices. J’ai décidé d’élargir le projet en tant que porte voix d’une génération de jeunes queers militant.es, et nous avons entamé le processus de création d’un podcast qui éclaire la série de photos sous un angle nouveau.

Concernant la réalisation, il s’agissait de créer deux espaces qui se répondent en miroir. Une première partie savamment scénographiée : Alors que le monde brûle, et une seconde spontanée, un espace de fête libre : Les monstres dansent. Cette dernière devait recréer les conditions permettant la sécurité, la joie et l’abandon. Ces deux séries entremêlées forment un dialogue entre extérieur et intérieur, entre les masques rôles et postures sociales imposées et les interstices de respiration et de survie.

Le contexte de réalisation du projet est d’une ironie cruelle. Le jour J 13 drag queens, kings et queers, 10 volontaires, un DJ et moi sommes réuni.es à Brocéliande. Nous croisons des chasseurs qui organisent une battue au sanglier dans la forêt. Il nous font savoir que si nous sommes sur le passage de leur proie, ils ne s’empêcheront pas de tirer. C’est surréaliste. Nous nous réunissons, des précautions sont prises et nous décidons à l’unanimité de réaliser le projet malgré le danger et malgré la peur. Le soir, j’accueille chez moi l’équipe pour une fête post shooting. Nous apprenons via les réseaux qu’une cinquantaine de fachos parcoure la ville pour « casser du pd ». Encore une fois, nous célébrons nos existences envers et contre tout.

Tout peut s'oublier

Tout peut s’oublier, c’est des histoires de rupture. Chacun.e déroule son histoire, sa peine, sa colère, se met à nu au sens propre comme au figuré. C’est des personnes si courageuses et si fortes et si belles qui reprennent le pouvoir sur la narration, qui dépassent leurs deuils et grandissent. C’est les moments partagés d’empouvoirement, de care et d’adelphité qui resteront marquées dans nos mémoires.
Tout peut s’oublier c’est un très beau non sens. C’est le troisième vers de la chanson de Brel, ne me quitte pas, il faut oublier, tout peut s’oublier. C’est cette envie qui nous prend au moment fatidique d’annuler toutes les erreurs et toutes les fautes et tous les doutes. C’est la pulsion de l’ivresse pour oublier, ne serait ce que quelques instants la douleur qui nous submerge. C’est faux, tout simplement.
On n’oublie rien.
On reconstruit.

Les Divines Transgressions

Braver les interdits, interroger notre rapport au sacré, s'aimer, transgresser...

La transgression est mise en abyme à de multiples niveaux, investir un espace interdit via l’exploration urbaine (urbex), s’y mettre en danger en s’y dénudant, et bien sur exposer des sensualités, sexualités queer dans un espace qui leur est par essence interdit.

Cependant cette série dépasse le simple aspect transgressif. Elle clame notre existence et célèbre nos identités, elle interroge notre rapport au sacré. En donnant à voir ces amours, en les imposant et en les exposant au regard du monde il s’agit de participer à une démarche collective de création d’une iconographie queer.

Sororités

Souvent, au cœur de la fête, je rejoins la chambre du fond. Sur le lit sont posées mes amies, comme un joli tas de chatons. Elles discutent, chuchotent, rient, les unes tout près des autres. Pour me sentir serein.e, je n’ai pas besoin de murs, je n’ai pas besoin d’un lieu, je n’ai même pas besoin de leur parler. Je sais qu’elles sont là. J’ai voulu les célébrer, offrir un écrin à leur beauté, à leur tendresse, à leur force. C’est ainsi que sont nées Les Sororités.

Elles sont mon refuge.

Roméo                      Rennes / Bretagne                        roméo.ro.méo@outlook.com                   06.84.97.33.22

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